la ballade d'edie s.






















Que se cache-t-il derrière les grands yeux toujours tristes d'Edie Sedgwick ?
Toute personne ayant croisé ce regard, que ce soit en face à face, sur un écran de cinéma ou sur l'une des nombreuses photos parues de l'icône des 60's, se pose inévitablement la question. La jeune femme apparaît effectivement toujours un peu perdue ; en perdition. Jean Stein retrace cette trajectoire fatale dans une biographie très complète, intitulée Edie. Parue en 1982, puis traduite en français en 1987, c'est à la faveur de l'exposition Warhol de 2009 au Grand Palais à Paris que les Éditions Christian Bourgois ont réédité ce qui reste comme sa biographie officielle. Mais ce livre est aussi un témoignage sur "cette drôle de guerre qui restera dans nos mémoires sous le nom d'années soixante" comme l'écrit Norman Mailer dans la préface. Et Edie Sedgwick en fut une des plus belles victimes.

Figure emblématique, Edie Sedgwick était au sens propre une pauvre petite fille riche. Née à Santa Barbara en 1943 d'une famille de la grande bourgeoisie californienne, elle est la 7ème des huit enfants du couple Sedgwick. Son père, être narcissique et tyrannique, élève durement tous ses enfants. Désirant renvoyer en permanence une image virile et stricte de lui même, il abusera de son pouvoir sur sa descendance. Au minimum moralement ; plusieurs témoins laissant entrevoir l'éventualité d'inceste. De l'autre côté, la mère d'Edie est complètement effacée, dans l'ombre de cet homme trop imbu de sa personne pour voir les dégâts qu'il cause autour de lui. Adolescente, Edie perdra deux de ses frères : Minty qui se suicide alors qu'il est interné en hôpital psychiatrique et Bobby, également suicidaire, qui se tuera dans un accident de moto. À cette époque, elle est anorexique et connaît déjà beaucoup de problèmes psychologiques. Elle fera elle aussi plusieurs séjours en HP.
 
Elle réussit à s'évader de cet univers oppressant d'abord en faisant une école d'art à Cambridge, puis à 20 ans en s'installant à New York. Elle fréquente alors le milieu de la nuit en pleine effervescence. Sa beauté, son talent et son argent lui ouvrent toutes les portes. Rapidement, elle rencontre Andy Warhol par l'intermédiaire d'un ami commun : c'est le coup de foudre mutuel. Edie devient l'égérie de l'artiste le plus important de la fin du vingtième siècle. Il fait d'elle une de ses "superstars" au sein de la Factory. Il trouve en elle son pendant féminin. Edie adopte la même coupe de cheveux et la même couleur platine que Warhol et s'habille souvent comme lui. Ils sont alors inséparables. Elle devient la figure des nuits new yorkaises et connaît alors la gloire. Ses photos sont dans les journaux de mode (Vogue). Le Velvet Underground (Femme fatale) ou Dylan (Just like a woman), qui fut un temps son compagnon, vont écrire des chansons à son sujet. Elle commence aussi à avoir quelques références dans le cinéma indépendant. Elle inspira à Warhol beaucoup de ses premiers films (Vinyl, Beauty#2...).

Cet acmé trace néanmoins le chemin vers une splendide dégringolade. Usant et abusant des drogues dès son arrivée à New York, elle se perd peu à peu dans les excès. Sa trajectoire bascule dans le glauque. Fragilisée depuis sa plus tendre enfance, elle est rattrapée par ce passé qui va la dévorer petit à petit. Incapable de gérer sa propre vie, d'humeur instable, elle dépense sa fortune sans compter. Elle passe son temps entre bars, fêtes, séances sous amphètes chez son médecin charlatan et autres soirées orgiaques. À nouveau, elle fait de nombreux séjours en HP où elle subit des séances d'électrochocs à plusieurs reprises.


En 1967, elle tourne dans Ciao! Manhattan, un film semi-fictionnel basé sur sa propre vie. On y voit une Edie Sedgwick en complète oisiveté, sous l'emprise des drogues, retraçant au travers de divers flashbacks sa vie passée. À cette époque, elle se brouille avec Andy Warhol pour partir vivre avec Bob Dylan. Warhol, cruel, la raye de son univers. Elle est désormais persona non grata à la Factory et les deux amants platoniques ne se reverront jamais. Edie déménage au Chelsea Hotel. Elle manque mourir dans l'incendie de son appartement qu'elle a elle même provoqué. Ruinée (beaucoup de personnes peu scrupuleuses ont su profiter de ses largesses), elle doit retourner chez elle en Californie. En permanence sous médocs, elle navigue entre de nouveaux séjours à l'hôpital et une communauté de Hell's Angels. Elle rencontre Michael Post, de huit ans son cadet, qui l'épousera en juillet 1971. Elle meurt à la fin de cette même année d'une overdose de médicaments.

Cette biographie est particulière et extrêmement complète. Jean Stein a choisi de retranscrire la parole de plus de 250 témoins privilégiés ayant connu Edie Sedgwick, qu'elle a pu obtenir sur une période de 10 ans. On retrouve dans ces interviews montés à la manière d'un cut up tous les protagonistes de l'époque : des membres de sa famille, des figures du Pop Art (Andy Warhol, Gerard Malanga, Jasper Johns, Roy Lichtenstein), des membres de la Factory (Paul America, Paul Morrissey, Ondine) ou des écrivains talentueux (Truman Capote, Norman Mailer, Gore Vidal). Ce choix narratif permet de nous plonger sans ménagement dans le tourbillon de la vie d'Edie Sedgwick.

Lorsque Warhol apprit la mort d'Edie, il déclara brutalement : "I hardly knew her at all" (Je la connaissais à peine). Comme si finalement il n'avait pas réussi à saisir son égérie. Elle se sera assez peu livrée à ses amis et, même à la lecture de cette biographie, on a du mal à clairement la définir. Il semble qu'à l'instar de Warhol, le plus souvent les autres aient projeté leurs propres fantasmes sur elle. Néanmoins, beaucoup de témoins assurent qu'elle avait une grâce et un charisme incroyables, qu'elle possédait un véritable pouvoir magnétique, lui permettant d'arrêter le temps sur son passage.


song "la ballade d'edie s." by ETIENNE DAHO
edie by JEAN STEIN (Christian Bourgois)
photos : films by ANDY WARHOL et affiche Ciao! Manhattan
graffiti by BANKSY

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