Autant le dire tout de suite, même si Suite(s) impériale(s) est un bon roman, ce n'est pas le meilleur de Bret Easton Ellis. En 2005, la barre avait été placée assez haute avec son précédent livre, Lunar park, auto(science)fiction hallucinée et émouvante, dans laquelle il exorcisait ses démons. Suite(s) impériale(s) est la suite de son premier roman, Moins que zéro, sorti en 1985, qui l'avait propulsé à seulement 21 ans au sommet de la scène littéraire américaine, formant au côté de Tama Janowitz, Mark Lindquist et Jay MacInerney, le Brat Pack, expression créée par les médias et sensée représenter cette nouvelle génération d'auteurs américains à succès.
Moins que zéro nous plongeait dans la vie de la jeunesse dorée et désœuvrée de Los Angeles. Les personnages principaux, Clay, Blair, Trent, Julian, Rip, cyniques à souhait et bourrés de drogues, attendaient que leur adolescence passe. Puis, il y eut Les lois de l'attraction et surtout American psycho, sûrement le roman de Bret Easton Ellis le plus dérangeant. Enfin, en 1998, il sortait Glamorama, son livre sur le monde de la mode.
Vingt-cinq ans plus tard, on retrouve donc Clay de retour à Los Angeles pour les vacances de Noël. Mise en abyme intéressante : Clay aurait aimé devenir écrivain mais le livre sur sa vie a déjà été fait par un de ses amis de l'époque. Il s'agit de Moins que zéro, livre dans lequel ses secrets et ceux de ses comparses ont été révélés au public. À défaut, Clay est devenu scénariste pour le cinéma. Pendant son séjour à L.A., il doit également participer au casting du film issu de son dernier scénario.
On retrouve également les autres protagonistes de Moins que zéro. Ils n'ont pas vraiment changé, toujours les mêmes angoisses et les mêmes vices, seul leur physique a été modifié à coup de bistouri et de botox. L'apparence, toujours l'apparence. Ça n'a pas vraiment bien tourné pour eux, la vacuité de leur vie est confondante : un est devenu dealer, un autre protecteur d'escort girls. Clay les croise à la faveur de diverses soirées, parties et autres premières au Chinese Theatre. Il laisse la vie glisser sur lui à coups de vodka et de drogues en tout genre. Bret Easton Ellis dépeint avec un humour noir la face cachée et sordide d'un Hollywood décadent et pourri. Le détachement de Clay reste intact jusqu'à ce qu'il rencontre dans une de ces fêtes une magnifique jeune fille, Rain Turner. En mal de célébrité, elle cherche à devenir actrice, une maladie courante à Los Angeles. Malheureusement sans talent, elle arrondit ses fins de mois en faisant la call-girl. Clay ne sait pas s'il est amoureux, mais en tout cas la jeune femme le fascine. Elle, de son côté, voit en lui un moyen d'obtenir un rôle rapidement. Elle n'en est pas à son coup d'essai et est déjà passée entre les bras de ses amis et de ses ennemis.
On apprend au début du texte que Julian, l'ami de Clay, va mourir. Comment et pourquoi ? C'est l'objet de Suite(s) impériale(s). Il s'agit en définitive d'un roman noir façon Le grand sommeil de Raymond Chandler, dont cette citation ouvre le livre : "Pas de piège plus mortel que celui qu'on se fait à soi-même". Et Clay va s'y employer. Déjà grand paranoïaque, il se sent manipulé, reçoit des textos anonymes menaçants, une voiture le suit en permanence et son appartement est fouillé en son absence. Toujours cynique et insensible, il rejette ses sentiments comme il l'a fait toute sa vie, pour se protéger. D'ailleurs, à peine pense-t-il aimer Rain qu'une tonne de problèmes se posent à lui. Comment s'en sortira-t-il ? À vous de lire. Juste un indice avec la dernière phrase du livre : "je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens".
Suite(s) impériale(s) est un roman à suspense, mais malheureusement le récit ne va nulle part, et manque par moment de s'engluer dans la vie sans intérêt de Clay et de ses amis. Bret Easton Ellis est peut-être dans ce roman plus complaisant avec ses personnages, en tout cas moins acide que précédemment. On peut regretter qu'il n'ait pas suivi l'exemple de Jay McInerney, qui dans La belle vie en 2006, nous donnait des nouvelles de Russell et Corrine, les personnages principaux de Trente ans et des poussières, avec qui nous avions fait connaissance en 1992. En effet, McInerney avait alors choisi d'utiliser les événements du 11 septembre 2001 comme point de rupture dans la vie de ses personnages, qui déviaient ainsi de leur trajectoire toute tracée.
Mais le livre est sauvé par son écriture. On retrouve l'écriture vive et extrêmement précise qui ravira les aficionados de l'Américain. C'est un roman court et rythmé par des paragraphes assez ramassés. Bret Easton Ellis est toujours l'écrivain des fantasmes, qui nous laisse pataugeant entre rêve et réalité.
song "femme fatale" by THE VELVET UNDERGROUND & NICO
suite(s) impériale(s) by BRET EASTON ELLIS (Robert Laffont / Pavillons)
photo : "Hollywood sign"
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